Les contestations les plus fortes ne tiennent jamais compte de l’intérêt général, voire, elles se trompent sur l’intérêt particulier : par exemple, vers le village d’Alteyrac, sur la section 3, il semble clair, sauf pour les intéressés, qu’il vaut mieux un viaduc plus proche, mais qu’on ne voit pas et qu’on entend peu, qu’un viaduc plus éloigné, mais qu’on voit et qu’on entend davantage. Dans tous les cas, les exploitants agricoles qui s’estiment gravement lésés par le tracé, confondent généralement fuseau des 300 m et emprise de la route. Ils ne réalisent pas concrètement ce que sera leur exploitation après restructuration et remembrement. Tous ceux qui auparavant, sont passés par cette épreuve, notamment en Lozère le long de l’A75, conviennent qu’au total, ils ne sont pas perdants.

Il semble que l’essentiel de la contestation ne soit pas sur le détail du tracé, mais sur le principe même de la voie express. L’argumentation des opposants s’articule principalement autour de deux axes.

Le premier est : « La Lozère n’a pas besoin d’une voie autoroutière », soit parce que le trafic ne le justifie pas, soit parce que ce n’est pas une nécessité économique.

Le trafic ne le justifie pas  C’est une réalité que la première raison de cet aménagement ne réside pas dans le trafic actuel, mais dans le souci de l’Aménagement du Territoire. C’est une notion ancienne, mais que la plupart de nos concitoyens ne connaissent toujours pas. En matière de développement, si on laisse les choses se faire toutes seules, les activités économiques tendent spontanément à se concentrer sur les grandes zones urbaines et les régions naturellement favorisées par le relief ou le climat. On arrive alors à une situation totalement déséquilibrée avec des zones surpeuplées et un véritable « désert français ». C’est ce qui s’est produit dans le sud du Massif Central. La Lozère en est un exemple particulièrement éloquent, puisqu’elle a perdu la moitié de sa population en un peu plus d’un siècle, et qu’elle était même menacée de disparition. La raison en était principalement les difficultés de communication, l’enclavement, que les voies ferrées tardives et médiocres n’ont pallié que très partiellement. Aujourd’hui, même les voies ferrées existantes ne constituent pas une solution : seules les voies nouvelles de type TGV sont efficaces, or ce n’est pas envisageable ! Le seul moyen de désenclavement est bien une voie express. Lorsque cette voie sera réalisée, au taux du trafic actuel s’ajoutera un léger délestage de la vallée du Rhône et l’augmentation naturelle du trafic, ce qui fera une moyenne d’environ 15000 véhicules/jour. Cela justifie une voie express.

Ce n’est pas une nécessité économique ?

Ceux qui parlent ainsi n’appartiennent pas aux secteurs de la production ou de la distribution de biens. Leur activité professionnelle ne dépend pas des contraintes de délais allongés ou des surcoûts de livraison. Ils ne connaissent pas les mécanismes concrets de l’économie. Ils attendent béatement que leur traitement tombe du ciel à la fin du mois, sans se soucier des aléas de la conjoncture. Ce n’est pas le cas de tous les Lozériens. Tous ceux qui sont justement dans ces activités de production, de distribution ou de services, c’est-à-dire ceux qui sont les forces vives du département, savent qu’ils ont besoin de liaisons rapides, régulières et sûres avec les autres régions et les grandes métropoles voisines. Nombreux sont les témoignages de commerçants et d’artisans qui se plaignent que leurs fournisseurs refusent de les livrer à Mende. Ils doivent aller chercher eux-mêmes les produits à Rodez, au Puy ou à Nîmes. D’autres témoignent que les difficultés de circulation leur causent des retards et des frais supplémentaires ;Ces contraintes, si elles devaient perdurer, remettraient en question le maintien de leur activité en Lozère. S’ils partent, ce sont des emplois de service qui disparaîtront, dont probablement des emplois de ceux qui aujourd’hui n’ont pas le sentiment d’avoir besoin d’une voie express.

Le deuxième axe des critiques porte sur l’environnement : une voie express détruira l’environnement de la Lozère ; elle va à l’encontre des objectifs de Kyoto et augmentera la production de CO2.

Il faut remettre les choses dans leurs justes proportions. Que représenteront les 60 km de voie express à travers la Lozère, par rapport à l’ensemble des infrastructures existantes ? En particulier, les seules malheureuses voies ferrées occupent à elles seules la moitié de l’emprise de la future RN 88 à 2x2 voies, pour un trafic infime. Le reste du réseau routier, national, départemental et communal constitue une emprise très largement supérieure. Pourquoi charger la seule voie express de toutes les responsabilités ? Le quadrillage autoroutier entre l’A75 et la Voie express sera très lâche, sans commune mesure avec ce qu’il est sur l’ensemble du territoire national.
En ce qui concerne le CO2, naturellement qu’il faut réduire les émissions. Le trafic routier n’est pas le seul responsable, il produit environ 25 % des émissions nationales. Que représenteront nos 60 km lozériens par rapport au 13000 km de voies autoroutières françaises ? Le tracé de 60 km constituera une réduction d’1/3 par rapport aux 60 km de la RN 88 actuelle, en supprimant les ralentissements et les bouchons des traversés urbaines, ce qui constitue une diminutions nette de CO2 Le supplément de circulation sera en partie un report de la circulation qui serait passée ailleurs, en partie une augmentation qui se serait produite sur place, ce ne sera donc pas une augmentation brute. Vouloir priver la Lozère d’une bonne voie de communication pour ne pas augmenter le CO2, c’est comme si on refusait de raccorder un nouveau quartier urbain au réseau électrique pour ne pas augmenter la consommation d’électricité. Si on veut diminuer la production de CO2 par le transport routier, il faut s’attaquer aux grands axes qui bénéficient d’ alternatives ferroviaires et où on peut réaliser des économies significatives. La Lozère de l’est et du centre a droit à une voie efficace.

Ce n’est pas en faisant périr la Lozère que l’on sauvera la planète.

Les opposants se gardent bien d’évoquer la sécurité routière et les nuisances subies quotidiennement par des milliers d’habitants de Langogne et de Mende. Les habitants de l’Aveyron et de la Hte-Loire se gardent bien d’essayer d’entraver une telle chance de développement. Y-t-il une fatalité qui frappe la Lozère pour que, outre ses handicaps naturels, elle soit affligée de ce comportement suicidaire ?

Toutes ces observations sont à la portée de tout un chacun. Des études, un sondage ont montré que l’énorme majorité des Lozériens et la quasi totalité des élus locaux adhéraient tout à fait à ces conclusions. Comment se fait-il que des gens normalement intelligents soient hermétiques à ces évidences ? C’est que la passion et l’idéologie rendent aveugles, créent des mythes imperméables à tout raisonnement rationnel. La nature humaine est ainsi faite, il ne faut pas s’en scandaliser.

En revanche, il ne faut pas se laisser abuser ni se laisser dicter par une minorité, fut-elle très agissante, bruyante et bien organisée, des décisions contraires à la volonté du plus grand nombre. Ce n’est peut-être pas parce qu’on est majoritaire qu’on a raison, mais encore moins parce qu’on est minoritaire.

La loi de la démocratie doit fonctionner sur ce sujet aussi.